23 février 2012

La patinoire Victoria


Il y a quelques mois, je faisais de la recherche pour mon blog et j’ai eu l’idée de retracer les principales équipes de hockey de l’histoire de Montréal. Malheureusement, comme c’est souvent le cas lorsque j’essaie de «blogger», je tombe sur un autre sujet ou bien je décide de jouer au Xbox à la place. Mais lors de ces recherches, je suis tombé sur un morceau d’histoire qui me trotte dans la tête depuis. Je me suis rendu compte qu’à l’origine du sport, plusieurs des premières équipes de hockey organisé jouaient leurs parties à l’ancienne patinoire Victoria, au centre-ville de Montréal. 

La Victoria Skating Rink est le lieu d’origine du hockey organisé moderne et était un lieu de loisir et de tourisme important de la haute société Montréalaise ( lire anglaise ) durant la deuxième moitié du 19ème siècle.

La patinoire originale n’existe malheureusement plus de nos jours, ayant été reconverti en stationnement à étages vers 1925. Désireux d’en savoir plus sur cette patinoire mythique, je me dirigeai donc vers Wikipedia et les internets mais je n’arriva pas à découvrir les détails sur les derniers jours de la patinoire et je voulais savoir pourquoi elle était ainsi tombée dans l’oubli collectif. Je m’étais dit qu’il serait chouette d’aller sur les lieux juste pour pouvoir dire «Wow! C’est ici.» mais j’essaie normalement d’éviter le downtown et y aller seulement pour y prendre une photo d’un vulgaire stationnement ne me paraissait pas vraiment très trippant. Je mis donc ce projet d’article sur la glace (jeu de mot) et l’oublia presque aussitôt. Mais en décembre dernier, après quelques semaines intensives de recherche d’emploi, j’obtins une entrevue pour une compagnie située au centre-ville. Comme je me promène rarement au gros centre-ville de Montréal, j’ai souvent l’air d’un touriste, la tête en l’air à contempler les buildings. Tout à coup, étant presque arrivé à destination, je me rendis compte que juste devant moi se trouvait un stationnement à étage morbide, construit avec de la vieille brique rappelant vaguement le Detroit moderne. Je reconnus la bâtisse que j’avais vu sur Google lors de mes recherches et je pus enfin dire mon «Wow! C’est ici.» suivi d'un sentiment glauque de déception. Je sus alors que je me devais d’écrire ce foutu article.





Premièrement, remise en contexte. Vers la moitié du 19ème siècle, on assista à un important développement au niveau des activités hivernales et particulièrement en ce qui concerne Montréal. La raquette commencea à se répandre comme loisir ainsi que le toboggan. Mais c’est au niveau organisationnel que Montréal innova dans le développement des sports nordiques. Les premiers clubs organisés de curling et de patinage artistique furent fondés à Montréal ainsi que le premier carnaval d’hiver en Amérique du Nord et par conséquent le premier «palais de glace». Le hockey récréationnel existait à l’époque, même que l’on peut remonter au 16ème siècle et même plus loin pour retracer l’origine du sport, mais le hockey organisé comme on le connait aujourd’hui a ses racines à Montréal et c’est ici que la patinoire Victoria occupe un rôle majeur dans l’évolution de ce sport. 


La Victoria Skating Ring fût construite en 1862, une des premières et plus grandes patinoires intérieures en Amérique du Nord et était considérée comme l’une des plus belles patinoires couvertes au monde. Située entre les rues Stanley et Drummond, au nord de René-Lévesque (anciennement Boulevard Dorchester) au centre de la communauté industrielle et universitaire anglaise de l’époque. 

Elle fût la première de plusieurs patinoires au Canada nommées en l’honneur de la reine Victoria. L’intérieur de la batisse avait l’air très impressionnant à l’époque, avec son haut plafond supporté par de nombreuses arches et poutres qui s’étendaient sur l’ensemble de la structure. Comme nous sommes en 1862, il faut garder en tête que l’intérieur des lieux n’était pas chauffé, la glace étant naturelle et glacée seulement par la froideur de l’hiver. De grandes fenêtres permettaient d’éclairer les lieurx ainsi que plus de 500 lampes à gaz. Ce fût d’ailleurs plus tard le premier bâtiment au Canada à avoir l’électricité. Le batiment servit d’abord aux clubs de patins montréalais, ainsi qu’aux festivals et carnavals hivernaux. En été, on y tenait des expositions d’horticulture et des concerts. La patinoire devint un attrait touristique majeur pour Montréal.

"Fancy ball at the Victoria Rink" 1865
C’est en 1875 que le hockey organisé apparût pour la première fois. Auparavant, le hockey ne se jouait que par plaisir, sur les lacs et les étangs, sans règles spécifiques ni d’équipes établies ou même de gardien de but. Tout cela changea lorsque James Creighton , surnommé «le père du hockey» et originaire d’Halifax s’installa à Montréal en 1872 à l’age de 22 ans. Il se joint au club de football amateur de Montréal et il devint aussi un patineur artistique de renom. Il s’inscrit au Victoria Skating Club et devint par la suite juge des compétitions. Il faut ici faire une parenthèse pour mentionner que la ville d’origine de Creighton, Halifax, doit être à mon avis considérée comme le lieu d’origine officiel du hockey, ayant vu les premiers développement du sport sur la glace. C’est aussi à Halifax que furent conçus les premiers batons officiels de hockey, sculptés par les indiens Mic-macs, ainsi que les patins «Starr», les premiers patins conçus spécialement pour le hockey. 


Creighton demanda à des amis de lui envoyer de ces batons et patins à Montréal pour qu’il puisse introduire ses amis montréalais à ce sport. Ayant accès à la glace de la patinoire Victoria, c’est là qu’il organisa la première partie intérieure officielle de hockey sur glace, le 3 mars 1875, entre deux équipes composées de membres des clubs de patinage et de football ainsi que des étudiants de l’université McGill. L'équipe de Creighton remporta la partie 2-1 et une page d'histoire fût écrite.


Article de The Gazette du 4 mars 1875
Remarquez à la fin ou ils mentionnent qu'une bagare a éclaté à la fin du match.
Ça a pas été long...


Équipe de l'Université McGill - 1881
Par première partie officielle, on implique les termes suivants; 2 équipes de 9 joueurs ayant des uniformes et des positions différentes, deux gardiens de buts, un arbitre, une rondelle, un éventail de règles prédéterminées et une durée officielle de 60 minutes avec un score final enregistré à la fin. Avant ça, c’était plus free-for-all. Mais au delà de ces normes officielles, le sport se métamorphosa grâce aux contraintes de la patinoire. La dimension de la glace étant plus petite et plus rectangulaire qu’un lac ou un étang força le jeu à se limiter à neuf joueurs de chaque côté (ensuite 7 et maintenant 6) . Avant la construction de cette glace, les patinoires intérieures et extérieures étaient plutôt de forme circulaire et non pas de forme rectangulaire aux coins arrondis comme maintenant. D’ailleurs, comme la patinoire se trouvait entre les rues Drummond et Stanley, les dimensions de la patinoire se limitaient  à l’espace maximum disponible entre ces deux rues, et les patinoires construites par la suite copièrent ces mêmes dimensions. 

Vue aérienne du site. Remarquez que la dimension du terrain est
similaire aux dimensions actuelles d'une patinoire nord-américaine.
Aussi je savais pas qu'il y avait un stationnement sur le toit.


Aujourd’hui même, l’ensemble des patinoires en Amérique du Nord ont sensiblement cette même grandeur standard. Donc la forme rectangulaire de la glace influença grandement le développement du jeu dans le positionnement des joueurs ainsi que dans la vitesse et l’exécution du jeu. À noter aussi qu’à l’époque il n’y avait pas encore de bandes pour protéger les spectateurs ni de filets pour les buts, mais selon les règlements la rondelle ne devait pas quitter la patinoire. D’ailleurs la rondelle fût inventé pour remplacer l’usage de balles qui elles pouvaient quitter la surface et blesser des spectateurs.

De cette première partie officielle en 1875 jusqu’en 1881, il n’y avait toujours pas de ligue, malgré le fait que le sport commencea à se diffuser à travers le pays. À la patinoire Victoria, on y jouait seulement des parties hors-concours, principalement entre les membres du club Victoria et des équipes de potteux universitaires comme McGill. Ensuite on assista à l’organisation de tournois entre ces mêmes équipes lors des festivals hivernaux. Ces tournois moussèrent l’intérêt à développer une ligue de championnat, ce qui arriva en 1886 lorsque la Amateur Hockey Association of Canada (AHAC) fut créée, encore une fois à la patinoire Victoria. La ligue comprenait surtout des équipes de Montréal mais aussi de Québec et d’Ottawa. C’est lors d’une partie à la patinoire Victoria en février 1889 que Lord Stanley of Preston, le gouverneur général du Canada, vut sa première partie de hockey entre les Victorias de Montréal et le Montreal Hockey Club. Lui et sa famille furent grandement imprésionné par le sport et l’ambiance des lieux et plus tard, ses deux fils lui suggérèrent de faire la donation d’un trophée officiel à être disputé entre les équipes championnes des ligues de hockey canadiennes. C’est donc en 1893 qu’il fît sa donation et que les premières séries de la coupe Stanley arrivèrent, la première équipe championne, le Montreal Hockey Club, remporta le premier match historique de finale de la coupe Stanley contre le Ottawa Hockey Club par un score de 3-1 , à la patinoire Victoria. Quand je vous dis que c’est décevant de voir qu’au même endroit, environ 120 ans plus tard, on ne retrouve qu’un parking à étage éclairé au néon ça me fait mal au coeur. 


Match de hockey (possiblement durant les premières séries de la coupe Stanley) 1893
Remarquez qu'il n'y avait toujours pas de filets, seulement deux poteaux et pas d'équipement de gardien de but.

Après cette première série de la coupe Stanley, le hockey et la patinoire Victoria continuèrent d’évoluer. On contruisit un balcon pour avoir plus de spectateurs, ainsi que des loges vitrées, précurseurs des loges corporatives d’aujourd’hui. En 1896, la patinoire fût connecté au télégraphe pour pouvoir transmettre simultanément les résultats de la finale entre Montréal et Winnipeg, devenant ainsi la première diffusion d’un match en temps réel. 

Mais les bons moments à la patinoire s’estompèrent au tournant du siècle. D’autres patinoires plus modernes furent construites, notamment le Westmount Arena qui fût construit uniquement pour le hockey. La Victoria elle, tombait en morceaux mais au lieu de rénover la patinoire, le Victoria Skating Club vendirent la batisse à J. William Shaw, un marchand de pianos qui planifiait d’en faire un aréna de concerts d’opéra mais ne put jamais réaliser ce souhait dû au coût élevé et le peu de profits prévus. Il continua donc de louer la patinoire pour le patin et le hockey tout en reconvertissant le batiment en stationnement de voitures en été. Mais rendu à cette époque, les meilleures équipes de la ville ne louaient plus la Victoria mais plutôt l’aréna de Westmount, plus adapté pour le hockey et plus moderne. Des ligues plus petites jouaient à la Victoria commes des ligues de garage, des ligues scolaires et autres ligues amateures. Lors des années 20, le batiment était devenu désuet et dangereux, ce qui força le proprio à vendre le terrain à la Stanley Realty Corporation pour construire un stationnement à étage. La dernière partie enregistrée à la patinoire Victoria fût un match de semi-finale de la Canadian National Railway Hockey League entre l’équipe du Car Department et celle du General Office le 3 mars 1925, soit 50 ans jour pour jour après le premier match de James Creighton et les étudiants de McGill. Il ne disputèrent même pas la finale à la Victoria mais plutôt au nouveau Forum, qui venait d’ouvrir cette année-là. 

Aujourd’hui, il m’est impossible de savoir si une partie de l’édifice original existe toujours en dessous de cet ignoble stationnement. Probablement pas. Aucune info n’est disponible sur internet, ni sur le site du stationnement. J’ai envoyé un e-mail au bureau du Patrimoine de la ville de Montréal qui eux me renvoient aux archives de la ville. Donc on dirait qu’il s’agit de ma mission. Moi tout ce que je demande c’est qu’ils installent une plaque à l’extérieur, ou bien qu'ils renomment le stationnement "Victoria Parking" ou bien "Stationnement Creighton" ou quelque chose du genre. Ça serait au moins ça. Mais je ne suis pas seul à y penser. Plusieurs ont milité à travers les années pour racheter et restaurer le site. Moi je ramenerais la bonne vieille patinoire avec le plafond arché et on organiserait un Igloofest sur glace, des parties de hockey à l’ancienne et des bals masqués hivernaux. Cela rajouterait un cachet historique et original au tourisme à Montréal. Mais tout ça coûterait un bras et enlèverait des places de stationnements au Centre Bell qui est ironiquement à deux blocs au sud, donc on oublie ça pour l'instant.


Je me contente donc de vous raconter cette histoire. Je suis sur la piste d'autres informations grâce au bureau du patrimoine et la bibliothèque nationale donc j'espère faire suite à cet article très bientôt.


Merci.



2 commentaires:

  1. très intéressant ! Merci de partager ta passion avec nous !

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  2. Merci! et merci de t'être abonné, c'est pas facile d'avoir de nouveaux membres

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